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Journalistes tués dans l’exercice de leur fonction

Journalistes tués dans l’exercice de leur fonction

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16082

Une histoire bien affligeante que d’être à son insu le propre auteur de sa perte. Triste ironie du sort que l’article, l’élément sur lequel repose la vie de tout journaliste, soit souvent aussi ce qui le tue.

Selon l’Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d’information, 68 journalistes sont morts en 2012, le conflit syrien étant la cause du plus grand nombre de victimes. Notre ère caractérisée par une interconnexion à l’échelle mondiale résulte en une insatiable soif d’informations, mais il est triste de constater que les journalistes continuent à perdre leur vie pour obtenir ces informations.

Les causes de décès varient, mais il existe un dénominateur commun : les « meurtriers n’ont pas besoin de rendre compte de leurs actes », selon Guy Berger, directeur de la division pour la liberté d’expression et le développement des médias à l’UNESCO.

Le terme qu’il convient d’utiliser ici est « impunité ». Elle est caractérisée par l’absence de justice et est un indicateur de l’état misérable dans lequel peut se trouver une société. L’impunité pour ceux qui agressent les journalistes – qu’ils soient des criminels, des terroristes ou des membres du gouvernement – officialise clairement le fait qu’il est admis de prendre pour cible ceux qui informent ou révèlent des vérités qui dérangent. Elle décourage les investigations et réduit au silence les critiques, dépréciant le rôle de chien de garde dévolu à la presse. Elle permet à ceux qui sont au pouvoir de fouler aux pieds nos droits et nos libertés.

Pire encore, l’impunité engendre des attaques similaires chaque année. Entre 2002 et 2012, 801 journalistes au moins ont été tués.

Si toute autre profession ayant un impact sur la façon de définir et comprendre notre monde enregistrait le même genre de statistiques, on peut imaginer le tollé que cela causerait ; les enquêtes seraient alors interminables et les efforts visant à mettre un terme à cette situation se propageraient dans le monde entier.

Il devrait en être de même pour les journalistes.

Imaginez un instant que des hommes politiques, des législateurs ou des hommes de religion soient également la cible de crimes similaires, avec une telle fréquence et dans des circonstances semblables. Imaginez un peu l’impact sur les secteurs respectifs de la société et comment cela affecterait votre propre vision du monde.

Les médias, dans leur rôle de quatrième pouvoir, ne devraient pas être une exception.

Dans certaines régions du monde, celles qui sont ravagées par la guerre ou dans les États en déroute, une telle dégradation est bien réelle. Le bilan de 16 journalistes tués cette année en Syrie et 14 en Somalie pourrait être attribué, en termes très simplistes mais non moins choquants, à l’absence d’un État de droit. 

De même, l’idée que les journalistes sont trop téméraires ou que le choix des sociétés de presse à court d’argent de recourir à des journalistes indépendants ou des correspondants locaux est éthiquement incorrect n’aborde que les symptômes sans s’attaquer à la racine du mal.

Selon Hannah Storm, directrice de l’INSI (International News Safety Institute), la question de la sécurité « doit faire partie du dialogue et de la culture à de nombreux niveaux ». Une idée qui a fait son chemin et prend de plus en plus d’importance dans l’industrie mondiale des médias.

Tout cela, c’est bien beau pour les grandes sociétés médias ou celles disposant de ressources suffisantes, mais comme l’indique le journaliste pakistanais Umar Cheema, ni le gouvernement d’Islamabad ni les sociétés de presse locales n’ont mis en place des mesures de sécurité idoines pour tous ceux qui se retrouvent sur les nombreux fronts du pays afin de couvrir les événements. Les équipements tels que les caméras sont peut-être assurés, mais le concept d’assurance vie ou maladie pour les journalistes reste frappé d’anathème.

Une telle attitude encourage les défenseurs des droits des médias dans le monde entier à mobiliser l’attention sur la sécurité des collaborateurs des médias – des dirigeants aux journalistes sur le terrain. Le plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes, signé en novembre 2012, attend de la société civile et des médias qu'ils s’engagent pour leur protection.

Mais quand l’impunité vérole l’environnement ambiant, quand l’indépendance du système judiciaire est mise en doute, que les services de sécurité et les forces politiques baignent dans la corruption, personne n’est traité sur le même pied d’égalité, encore moins les journalistes. La corruption maintient au pouvoir des systèmes pourris au point de vue financier, idéologique ou politique. Dans de tels contextes, ceux qui sont au pouvoir considèrent les journalistes comme une nuisance. Et la meilleure solution est d’éradiquer cette nuisance.

L’impunité est un message clair lancé à l’attention des médias qui inévitablement s’autocensurent ou se taisent en cas de contentieux : les choses sont ainsi, pas la peine de les remettre en question. La qualité et la profondeur des informations disponibles diminuent ; le contrôle démocratique dévolu à nos médias n’a plus aucun sens ; ils ne peuvent plus remplir leur mission de service public.

Toute personne, toute organisation ou toute institution impliquée dans le meurtre d’un journaliste et jouissant quand même de sa liberté renforce ce message. 

Le fait qu’il soit possible d’échapper à toute sanction malgré un meurtre, quel que soit le contexte, remet en question la perception que nous avons de la société dans laquelle nous vivons. Nous nous sentons bien moins en sécurité quand un journaliste travaillant dans un pays démocratique est assassiné en toute impunité.

Souvent ce sentiment d’insécurité est bref et la vie continue laissant derrière elle un journaliste mort. Toutes les lois du monde ne peuvent expliquer le manque d’engagement authentique pour mettre fin à l’impunité. « Au Mexique, le chaos règne et les journalistes sont des proies faciles et vulnérables », indique la journaliste et écrivain Anabel Hernández.

Malgré tous les changements législatifs pour nommer des procureurs spéciaux au Mexique, « les meurtres perpétrés sur les journalistes n’ont pas pris fin », dit-elle. « De tels projets n’ont abouti à rien en raison du manque de volonté d’appliquer les lois conçues pour protéger les journalistes. »

Au Mexique, en proie à l’impunité comme ailleurs dans le monde, ce sont souvent ceux qui devraient théoriquement protéger les journalistes qui commettent les crimes les plus odieux à leur égard.

Un voile de tristesse tombe sur le monde des médias lorsqu’un collègue perd sa vie dans l’exercice de sa profession. La réflexion engendrée par cette mort ne nécessite aucune explication. La répétition des mêmes causes profondes de la mort de tant de journalistes fait ressortir la trahison systématique de la justice, quel que soit le pays où le meurtre a été perpétré. Considère-t-on les journalistes comme des éléments interchangeables, l’important étant seulement que les actualités puissent être diffusées 24h/24 ? Peut-être qu’une interruption des services d’information, une pause pendant la diffusion ou une page blanche dans le journal sensibiliseraient mieux au problème.

Combien de morts nous faudra-t-il encore pour nous convaincre qu’il est inacceptable de réduire un journaliste au silence ? Toute mort est une tragédie. Et tant de morts sont tout simplement incompréhensibles. Mais assassiner pour encore et toujours la même raison est tout simplement immoral.


Cet article peut être reproduit, en partie ou dans son intégralité, en mentionnant  la source WAN-IFRA. Vous trouverez plus bas le lien pour le téléchargement.


 
Vous pouvez également télécharger et reproduire gratuitement l’infographie pour illustrer ce texte en citant l’IFEX et sa campagne internationale contre l’impunité.


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Andrew Heslop

Date

2013-03-25 14:26

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