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Les dessous de la stratégie numérique de News International – Interview de Juliet Bauer

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Les dessous de la stratégie numérique de News International – Interview de Juliet Bauer

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13467

En février, Rebekah Brooks, PDG de News International, annonçait que le nombre d’abonnés aux nouveaux produits numériques du Times et Sunday Times avait augmenté de plus de 60 % depuis les derniers chiffres parus en octobre 2010, une hausse de 3 % d’une année sur l’autre pour l’ensemble des contenus payants du Times.

Juliet Kennard Bauer, directrice du développement de produits à News International.

Mise à jour du 30 juin : le Times et le Sunday Times ont maintenant à eux deux 101 036 abonnés numériques mensuels, une augmentation de 28 % par rapport aux derniers chiffres officiels de février (79 000 abonnés numériques). Ce chiffre comprend les abonnés à tous les supports numériques : les sites Web, l’application iPad et l’édition Kindle. Fin juin, le Times et le Sunday Times comptaient au total 250 000 abonnés payants (abonnés papier/Web ou abonnés exclusivement numériques). Ils représentent presque la moitié des ventes du Times.

Le Times est téléchargé en moyenne sur 35 000 iPads par jour, une augmentation de 40 % au cours des quatre mois suivant février. La moyenne pour le Sunday Times est de 31 000, c’est-à-dire une hausse de 41 %. Les abonnés au numérique et au journal papier 7/7 jours ont tous accès à l’édition iPad et ce chiffre inclut également ceux qui se sont directement abonnés depuis le magasin Apple.

Juliet Kennard Bauer, directrice du développement de produits à News International, a mené à bien le lancement du projet et explique dans son interview à WAN-IFRA Magazine comment elle a aidé à définir une nouvelle stratégie numérique pour le Times et le Sunday Times.


WAN-IFRA : Qu’en est-il du nombre d’abonnés numériques ?

JULIET KENNARD BAUER : Nous sommes très contents des chiffres parus en février et en juillet. Si l’on combine les ventes de l’imprimé et du numérique pour le Times, on s’aperçoit que le nombre de lecteurs payants est en augmentation d’environ 3 % sur toute l’année. À long terme, nous avons besoin de maintenir et augmenter les revenus pour investir. Donc si un plus grand nombre de personnes est prêt à payer pour notre contenu et si nous pouvons développer un meilleur modèle publicitaire, c’est encourageant.

 

WAN-IFRA : Les applis iPad du Times et du Sunday Times font partie de l’abonnement numérique pour 2 livres par semaine. Elles sont également disponibles sur iTunes pour 9,99 livres par mois pour le Times et 1,79 livre par semaine pour le Sunday Times. Pourquoi l’offre iTunes est-elle plus chère ?

JULIET KENNARD BAUER : Notre offre numérique est différente des produits iTunes pour plusieurs raisons. Il s’agit d’un vrai abonnement qu’on s’engage à respecter par opposition à un achat in-app reconductible chaque mois. Deuxièmement, notre relation avec le client est directe, ce qui nous donne de nombreuses occasions d’apporter une valeur ajoutée. Troisièmement nous ne sommes pas contraints de demander un certain prix comme c’est le cas avec Apple. Avec Apple, nous avons la possibilité de cibler de nouveaux clients, notamment ceux qui n’ont pas encore eu affaire à notre marque et les étrangers qui ne souhaitent pas s’engager dans un abonnement direct.

 

WAN-IFRA : De nombreux journaux optent pour une approche tout en douceur, c’est-à-dire qu’ils donnent accès à certains articles gratuitement avant de demander aux lecteurs de sortir leur porte-monnaie. Pourquoi avez-vous choisi une approche aussi radicale ?

JULIET KENNARD BAUER : Nous avons longuement analysé les différents modèles ; nous avons parlé à nos clients et moi-même j’ai participé à plusieurs discussions avec des groupes cibles… La simplicité est la chose la plus importante pour les clients. Ils veulent savoir ce pour quoi ils paient et ce qui est gratuit. De nombreux analystes de l’industrie nous ont comparés au Wall Street Journal. Il ne faut pas oublier que le WSJ est très en avance sur nous. Nous avons proposé ce modèle sur un marché avec très peu de contenus payants comparables. Dès le début les clients nous ont dit : « Si je paye, je ne veux pas avoir l’impression que d’autres personnes reçoivent ce même contenu gratuitement. » Une information très importante pour nous et cela a bien marché : les gens ont compris le fonctionnement de ce modèle et savent qu’ils reçoivent une certaine valeur pour leur argent. Plus tard, nous testerons probablement des opérations marketing en utilisant des « échantillons » gratuits de nos contenus, mais le concept de base, payer pour accéder aux articles, ne changera pas. C’est un message clair et qui fonctionne très bien avec nos clients. Il n’existe pas de solution universelle pour les éditeurs. Quel genre d’offre présenter aux clients ? La réponse à cette question est dans les données que vous avez déjà collectées et dans la façon dont le client utilise vos produits. Le plus difficile pour chaque entreprise de presse est de se cantonner au modèle choisi et de ne pas changer constamment. Quand vous changez de modèle, vous devez expliquer pourquoi vous le faites afin que vos clients vous suivent.

 

NDLR : Le 30 juin, News International annonçait que le la nouvelle appli du Times pour l’iPhone et Android serait gratuite pendant une courte période et qu’elle serait ensuite incluse dans l’abonnement numérique.

WAN-IFRA : Avec la baisse du trafic, où en sont les revenus publicitaires issus du numérique ?

JULIET KENNARD BAUER : Toutes nos analyses avant le lancement du paywall montraient que le volume du trafic ne mènerait jamais à suffisamment de revenus publicitaires pour que notre entreprise soit viable. Aujourd’hui nous avons de nouvelles offres publicitaires, car nous pouvons cibler plus précisément une audience premium et fournir des taux de conversion bien plus élevés aux annonceurs. Actuellement, le total des revenus issus du numérique est plus élevé qu’auparavant. Et ça, c’est une bonne nouvelle.

 

WAN-IFRA : Les internautes se comportent-ils différemment une fois le site payant ?

JULIET KENNARD BAUER : Je fais des recherches sur notre audience depuis une dizaine d’années, écoutant les clients parler des produits imprimés et des produits en ligne et je peux affirmer que le comportement de nos abonnés au numérique est différent. Ce que nous pouvons constater, c’est un engagement bien plus grand envers le produit numérique depuis qu’il est payant. D’un point de vue qualitatif, la façon dont ils parlent du produit, le connaissent, l’utilisent est différente et d’un point de vue quantitatif, la fréquence de consultation et le temps passé sur le site ont triplé. Il est intéressant de constater que nos clients emploient les mêmes termes qu’avec le journal papier quand ils parlent de leur lien et de leurs expériences de lecture avec le produit numérique.

Nous avons aussi un panel de conseil composé de quelques centaines de consommateurs du Times numérique. C’est un panel continu que nous avions lancé avant de commencer à faire payer. Il nous aide beaucoup à comprendre ce que les consommateurs aiment et ce qu’ils pensent de l’abonnement. Nous leur posons différentes questions toutes les semaines.

 

WAN-IFRA : Vos analyses sur le comportement des abonnés payants ont-elles un impact sur votre façon de structurer le site Web ?

JULIET KENNARD BAUER : Les statistiques sur le comportement et le retour d’informations de nos clients ont un impact sur ce que nous faisons quotidiennement. Mais la raison pour laquelle les gens s’abonnent réside surtout dans la qualité de nos produits et ce qui nous différencie des autres : nos éditorialistes, nos séries, nos interviews, nos critiques littéraires, tout cela pousse les gens à s’abonner. Quelques-uns de nos produits réputés comme The Sunday Times Rich List, les guides universitaires et d’autres enquêtes spécifiques ont également un impact sur les raisons d’abonnement. Le taux de résiliation est assez bas. Lorsque les gens font l’effort de tester la période d’essai, nous avons de grandes chances de les garder. Et souvent ils recommandent le produit à leurs amis. Nos journalistes essaient aussi de répondre aux commentaires. Ce n’est pas possible avec 50 millions d’utilisateurs. Et les utilisateurs se sentent appréciés en raison de ce lien direct avec les journalistes.

 

WAN-IFRA : Quels sont les meilleurs moyens de fidéliser les abonnés ?

JULIET KENNARD BAUER : C’est une combinaison de facteurs, entre autres s’assurer du bon fonctionnement du site. Il ne faut pas sous-estimer l’importance d’aider les gens à se connecter à notre site. Il faut que tout soit très simple, que ça fonctionne sans faille, que les gens aient l’impression d’en avoir plus pour leur argent et le contenu parlera de lui-même.

 

WAN-IFRA : Si vous vous abonnez, vous êtes automatiquement un membre du Times + et recevez des offres spéciales. Est-ce que cela joue un rôle important dans la décision de s’abonner ou pas ?

JULIET KENNARD BAUER : Times + a été lancé en 2009. C’était à l’origine une sorte de récompense pour les abonnés de l’imprimé avec des événements uniques, des offres particulières et des concours. Nous avons plus d’un million de contacts par an avec les personnes qui participent à nos concours, nos événements, etc. et l’année dernière 35 000 personnes sont venues à une de nos manifestations. Il était évident que cette offre apporterait une vraie valeur ajoutée à nos clients et nous l’avons incluse dans le bénéfice de l’offre numérique. La façon dont les abonnés au numérique interagissent avec Times + est différente des abonnés à l’édition papier, peut-être parce que la catégorie démographique est évidemment légèrement différente. La logique est cependant la même : créer un bouquet de produits qui a une valeur concrète. D’ailleurs les abonnés du numérique qui utilisent Times + sont bien moins enclins à résilier leur abonnement.

WAN-IFRA : Times + permet-il d’augmenter l’ARPU ? (chiffre d’affaires mensuel moyen réalisé avec un client)

JULIET KENNARD BAUER : Times + avait été lancé à l’origine pour une plus grande fidélisation. C’est certainement un prolongement intéressant de la marque car il permet de mieux connaître vos clients et vous pouvez l’utiliser de diverses façons. Mais il faut être prudent. C’est justement avec Times + que nous devons faire attention à la marque et l’expérience de lecture, car vous pourriez détruire la confiance de vos clients si vous leur donnez l’impression de n’avoir créé cet espace spécial que dans le but de gagner encore plus d’argent. Si nos clients souhaitent certains services et pensent que nous sommes à même de les fournir, nous répondrons toujours à leurs besoins.

 

WAN-IFRA : Quels sont les meilleurs supports marketing pour recruter de nouveaux abonnements numériques ?

JULIET KENNARD BAUER : Le quotidien est comme une vitrine incitant notre audience à tester la plate-forme numérique. Nous avons aussi une large base de données intéressante contenant les clients existants et les prospects.

Les moteurs de recherche, dont Google bien sûr, sont toujours aussi importants car de nombreuses personnes y ont recours pour trouver un produit, donc nous ne pouvons pas les ignorer. Nous les utilisons d’une certaine façon, avec certains mots clés et ils se révèlent être des vecteurs efficaces incitant les gens à s’abonner.

Nous empruntons aussi d’autres voies, comme les offres pour les entreprises, les partenariats avec la grande distribution ou des marques avec lesquelles nous avons une forte affinité. Je suis en train de chercher de nouveaux vecteurs d’actions marketing pour les 18 prochains mois. C’est intéressant car la marque du Times est une marque vraiment célèbre. Au cours d’une année, 18 à 19 millions de gens auront eu un exemplaire du Times ou du Sunday Times dans les mains, donc il est réaliste de dire qu’une grande partie de la croissance viendra de ces clients familiarisés avec nos marques. Et puis il y a de nouvelles options à tester en direction des étudiants ou de l’international.

 

WAN-IFRA : En terme d’actions marketing, cela semble être les opérations habituelles…

JULIET KENNARD BAUER : Non, certainement pas. Nous avons dû doter notre équipe d’un nouveau savoir-faire basé sur le numérique et avons dû rapidement apprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il a fallu que nous nous penchions davantage sur la recherche et les médias sociaux et sur la façon dont ces deux supports attirent les clients. La commercialisation des produits a changé. Le Times est déjà bien connu au sein de nos groupes cibles et le défi à relever pour les prochaines années sera de trouver comment présenter le Times aux gens qui ne le connaissent pas encore. Mais nous y parviendrons. De nouveaux appareils numériques sortiront sur le marché et attireront des clients aux caractéristiques démographiques différentes… À l’heure actuelle, le marché est dominé par l’iPad mais cela changera ; Android se développera ; les ventes du Kindle sont importantes. Malheureusement, ce n’est pas à nous d’introduire ces appareils dans l’offre d’abonnement. Mais il y aura des options supplémentaires.

 

WAN-IFRA : L’incorporation de l’offre numérique dans le système CRM a-t-elle été compliquée ?

JULIET KENNARD BAUER : Si votre seul objectif est de faire de votre site Web un site payant, cela ne cause pas de problèmes. De plus en plus de fournisseurs vous le proposent pour un prix raisonnable. Mais c’est le lien avec le système de gestion de l’entreprise qui est un vrai casse-tête… Effectuer le lien vers votre système d’abonnement habituel est compliqué et revient souvent cher… et c’est une des raisons pour lesquelles cela est revenu très cher au New York Times. Dans les prochains mois et années, je pense que ce sera plus simple avec l’informatique dans les nuages. Ce qui est vraiment difficile, c’est de répondre aux attentes des clients dans l’espace numérique. Ils s’attendent à ce que leur abonnement démarre dès que la transaction a été faite. Dans le monde de l’imprimé, ils savent que cela peut prendre plusieurs jours. Si un éditeur veut passer au modèle payant, je lui conseille de travailler avec des spécialistes et de veiller dès le début à la qualité des réunions de planification du concept, car ce qui vous tue dans un projet à long terme, c’est de trop souvent changer d’avis. Élaborer un système complètement flexible pour une activité qui n’a pas encore fait ses preuves et dans un domaine où les innovations sont constantes, c’est trop ambitieux pour un début.

Auteur

Valérie Arnould

Date

2011-07-19 08:47

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